les effets du port du masque sur les jeunes enfants en lieux d'accueil collectif
Les effets du port du masque sur les jeunes enfants en lieux d’accueil collectif
Langage : des interactions plus pauvres
Concernant le langage, les observations confirment les craintes des professionnels sur l’impact du port du masque sur l’acquisition du langage sur les différents aspects : compréhension, production, écoute. Alors que la période concernée est particulièrement sensible à cette acquisition, l’appauvrissement de la qualité des interactions entravées par le masque risque d’avoir un impact important. Les observations font ressortir que l’entrée dans la communication et le langage chez les tout petits s’appuient sur la vision du visage et en particulier de la bouche de l’adulte. Il s’avère que les jeunes enfants ne font pas qu’écouter le langage, ils le regardent également. En effet, que ce soit quand ils ne comprennent pas, quand ils ne parviennent pas à cerner qui leur parle, ou quand les adultes ne portent pas le masque, les enfants cherchent à regarder la bouche et le visage. La moindre attention aux échanges et la moindre implication dans les interactions peut s’expliquer par l’absence de ce support visuel. Ainsi, les difficultés à comprendre les messages et les consignes, surtout chez les enfants les plus âgés à partir de 18 mois, sont celles qui sont évoquées en plus grand nombre (« À 18 mois, ils ne réagissent pas, ils ne comprennent pas ce que l’on attend d’eux » ; « À certains moments, ils ne comprennent pas la consigne et je dois enlever mon masque » ; « Pour les enfants en pleine acquisition du langage il faut parfois répéter plusieurs fois un mot car ils ne peuvent regarder et imiter »). La difficulté qui ressort également dans de nombreuses observations, quel que soit l’âge, est celle de repérer la professionnelle qui parle quand plusieurs sont présentes (« […] les enfants cherchent souvent quel est l'adulte qui s'adresse à eux » ; « Il faut très souvent faire un signe de la main pour préciser quel adulte s'exprime »). Il semble que l’enfant ait besoin de voir la bouche s’animer pour comprendre qui parle. Les enfants semblent aussi moins attentifs (« […] moins d’attention pendant les chansons et les histoires » ; « Chez les enfants de 18 mois à 3 ans, le sentiment que je n'existe pas ou tout du moins, que ma présence n'est pas aussi marquée que quand je n’ai pas le masque »). À l’inverse, quand le masque est ôté, l’attention des enfants et leur participation dans l’interaction sont massivement signalées (« Nous enlevons notre masque lors des comptines, histoires, marionnettes. Les enfants sont plus à l'écoute plus attentifs, observent nos expressions de visages et nous imitent parfois lors de communication gestuelle sur les émotions » ; « Lors de temps individuels j'enlève parfois mon masque, je constate une attention accrue des enfants avec un certain apaisement et davantage de réponses » au sujet d’enfants jusqu’à 1 an).
Un nombre important d’observations ont trait au fait que les enfants regardent beaucoup le visage et la bouche de l’adulte qui enlève son masque (« J’enlève mon masque pendant les comptines avec des enfants d'1 an et là les enfants observent de manière insistante ma bouche »), permettant notamment l’imitation (« Nous proposons des comptines avec des sons et des gestes en enlevant nos masques, nous observons les enfants imiter les mouvements de nos lèvres » ; « J'ai voulu souffler sur une plume. L'enfant (16 mois) regardait les yeux intrigués. J'en enlevé mon masque pour souffler (pas en direction de l’enfant !), l’enfant a regardé ma bouche avec avidité et a reproduit le geste de souffler »).
Les enfants s’adaptent mais ils sont plus inquiets et sourient moins !
Concernant les réactions affectives et sociales, les professionnels soulignent dans l’ensemble la capacité d’adaptation des enfants (« Je n'ai pas senti de différence avec ou sans masque » ; « Je pensais que les enfants allaient vraiment avoir du mal, mais finalement ils s'y sont très vite habitués »). Ils constatent néanmoins des incidences sur les interactions socioaffectives entre adultes et enfants. Les réactions d’inquiétude sont l’une des manifestations particulièrement relevées chez les enfants (« Les moins de 1 an semblent inquiets, ne comprennent pas l'intention bienveillante » ; « [elle] ne veut pas que je porte le masque, « ça me fait peur » verbalise-t-elle » écrit un répondant au sujet d’une enfant de deux ans et demi). Les témoignages d’enfants avec des regards fermés ou fixes face aux adultes masqués sont assez fréquents de même que les pleurs directement liés au port du masque (« un enfant de section bébé s'est mis à pleurer en me voyant car [il ne m’a] pas vu pendant 1 semaine. Habituellement même s'ils ne nous voient pas une semaine, ils ne pleurent pas quand on n’est pas masqué »). L’incapacité à reconnaître l’adulte familier est une problématique plusieurs fois évoquée. Le fait que les enfants cherchent très souvent à ôter le masque de l’adulte est significatif du fait qu’ils le vivent comme quelque chose d’insolite (« Les enfants de 1 an à 2 ans essaient de nous l'enlever comme ils le font avec leurs parents » ; « Les bébés 7 mois / 9 mois m’arrachent quelques fois le masque »). Notons tout de même que beaucoup de répondants observent des réactions marquées au retrait du masque. Surprise, regard interloqué, voire réactions de crainte, et pour les plus petits des pleurs, peuvent être constatés : (« Une petite de 8 mois a peur de nous lorsqu’on retire le masque, elle ne sourit plus et ne veut pas qu’on l’approche ».)
Évoqué à de nombreuses reprises, le sourire est également un indicateur de la qualité des interactions socioaffectives. Dans un peu moins de la moitié des cas (40%) où le sourire est mentionné, les professionnels font le constat que le port du masque ne semble pas problématique, mais dans la majorité des cas (60%) ils en déplorent plutôt les effets délétères.
Les premiers disent ne pas observer de différence notable entre les moments où le masque est, ou non, porté par l’adulte, déduisant que les enfants s’y sont habitués (par exemple, ils sourient en réponse au sourire « masqué » de l’adulte).
Les seconds, en revanche, rapportent une diminution de la fréquence du sourire chez les enfants et constatent que ces derniers sont nombreux à peu ou ne pas sourire (il est « difficile de pouvoir faire sourire ou interagir » au sujet d’enfants de 2 mois à 18 mois).
Plus généralement, les professionnels considèrent que le sourire-réponse est plus long à se déclencher. Plus d’un tiers note que les enfants ne réagissent pas au sourire de l’adulte masqué, ou pointent que le port du masque suscite des confusions au sujet de l’identité de l’adulte, et/ou de son intention ou de son émotion ([je lui dis] « qu’il ne peut pas faire ça. Il sourit, j’enlève mon masque et lui répète mes mots. Son visage se fige puis il part »).
Lorsque l’adulte est amené à ôter son masque, cela provoque le sourire de l’enfant (dans plus de 80% des cas). L’interaction entre l’enfant et l’adulte se modifie : le visage de l’enfant s’illumine, le sourire-réponse s’affiche quasi systématiquement et se manifeste plusieurs fois durant le temps de l’échange non masqué (« […] Dès que j’enlève mon masque il y a une connexion qui se crée à nouveau, comme si la communication reprend enfin […] » ; ou selon un autre témoignage « […] me regarde lors de l’échange verbal. Pas de sourire malgré mon sourire des yeux. Dès que j’enlève le masque et qu’il voit aussi mon sourire des lèvres, alors il sourit immédiatement […], au sujet d’un autre bébé). Selon plusieurs professionnels, les enfants ont tendance à focaliser leur attention sur la bouche de l’adulte lorsqu’ils peuvent enfin l’observer. En tout état de cause, ils relèvent une qualité accrue de l’interaction, les échanges étant « plus spontanés et directs », « mutuels », « plus riches et plus longs ».
Des pratiques et un accompagnement de moindre qualité
Les pratiques professionnelles sont également impactées par le port du masque. Au-delà de la pénibilité des différents effets physiologiques (maux de tête, fatigue, difficultés pour respirer, etc.), ces derniers imposent aux adultes de modifier leurs activités (« On peut faire moins de choses physiques (danser, chanter, courir) car cela réduit trop notre souffle »). Les professionnels rapportent entre autres être parfois obligés de diminuer les temps de chansons et de lecture. La qualité de l’accompagnement des enfants en est négativement affectée (« L’inconfort entrave la relation » ; « Nous sommes épuisés...nous respirons mal ... les enfants subissent notre agacement » ; « [Nous] prenons beaucoup moins de plaisir à lire et chanter avec le masque »). En matière de communication, certains déplorent les effets préjudiciables du port du masque. D’une part, le fait de devoir parler plus fort augmente le niveau sonore général et porte atteinte à la qualité de l’ambiance du lieu d’accueil.
D’autre part, il leur également de penser à adapter leur façon de s’exprimer pour compenser la présence du masque : moduler davantage leurs intonations, accentuer les mouvements du haut de leur visage, tout autant de stratégies de compensation auxquelles il faut penser, créant ainsi une surcharge mentale. Les temps de transmission sont également plus compliqués, qu’il s’agisse de ceux entre professionnels (« Difficile parfois aussi de s’entendre/ se comprendre entre pros, cela amène régulièrement à des quiproquos ou des incompréhensions ») ou ceux avec les parents (« La communication est moins bonne avec les familles, on ne s'entend pas toujours très bien »). Enfin, de nombreux commentaires traduisent les inquiétudes des professionnels sur le développement des enfants à long terme, autant celui du langage que celui des compétences relationnelles non verbales (« Les enfants qui n'ont connu que des personnes masquées sauront-ils communiquer avec des adultes si - un jour- nous serons libérées du masque ? »).
Des professionnels partagés
En conclusion, l’enquête sur les effets du port du masque sur les jeunes enfants a permis de documenter leurs réactions vis-à-vis d’un nouvel objet qui modifie le visage de celles et ceux qui s’occupent quotidiennement d’eux dans leur lieu d’accueil collectif. Les témoignages des professionnels de la petite enfance sont partagés sur les conséquences du port du masque qu’ils observent. D’un côté, nombre d’entre eux font remarquer la capacité d’adaptation des enfants, parfois à l’encontre de leurs prédictions. Selon eux, beaucoup d’enfants n’ont manifesté aucune réaction particulière, semblant s’être aisément habitués à ce que les adultes portent le masque en permanence. De l’autre côté, de nombreux professionnels soulignent les répercussions développementales néfastes. Acquisitions langagières perturbées, relations intersubjectives altérées, etc., les incidences attendues sur les compétences socio-communicatives du jeune enfant leur apparaissent critiques.
Quant au masque inclusif, son inconfort, la buée et la condensation qui le troublent rapidement, ainsi que la restriction du champ de vision qu’il entraîne, n’en font pas la solution espérée par beaucoup. Le vécu négatif rapporté par nombre de professionnels n’est pas seulement lié à la difficulté de s’accommoder du port constant du masque sanitaire, mais plus généralement au sentiment d’une qualité de vie au travail et d’une qualité d’accueil des enfants qu’ils jugent détériorées. Objet de prochaines publications, l’exploitation approfondie de ces témoignages permettra une meilleure compréhension des mécanismes cognitifs et socioaffectifs en jeu dans les lieux d’accueil des jeunes enfants.
15/09/2021
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